PALÉOCHRÉTIEN (ART)

PALÉOCHRÉTIEN (ART)
PALÉOCHRÉTIEN (ART)

Depuis les années 1970, les découvertes archéologiques, les recherches faites pour constituer des séries d’objets et étudier leur diffusion, la juste pondération des analyses stylistiques par l’étude des techniques et des conditions de fabrication, le souci, enfin, de ne pas surinterpréter par un symbolisme religieux exacerbé l’iconographie héritée du paganisme conduisent peu à peu à réviser la notion d’«art paléochrétien». Cette dernière expression est contestable dans ses deux termes. D’une part, pour comprendre la société de cette époque, il importe d’embrasser toutes les formes de culture matérielle et de ne plus envisager que les seules «œuvres d’arts». Par ailleurs, le terme «paléochrétien» a une connotation trop religieuse, qui était plus ou moins justifiée lorsqu’on se préoccupait essentiellement de fouilles d’églises (parfois même en négligeant leurs annexes), mais qui ne paraît pas adéquate lorsqu’on entend se livrer à une investigation complète et méthodique de toutes les traces accessibles par l’archéologie. Aussi la notion d’«antiquité tardive» mise en avant par H. I. Marrou dans son dernier ouvrage, Décadence romaine, ou Antiquité tardive, IIIe-VIe siècle (Seuil, 1977), paraît-elle préférable.

De fait, une réflexion sur l’habitat et les objets met en évidence, comme nous le montrerons, deux faits saillants. Le premier est la continuité manifeste entre l’époque hellénistico-romaine et la période qui nous intéresse: continuité créatrice et féconde dans l’urbanisme, dans l’architecture (les églises sont elles aussi à leur manière dépositaires d’un héritage architectural composite), comme dans les techniques artisanales, de la céramique à l’orfèvrerie en passant par les mosaïques ou les peintures murales. Le second est l’émergence autour de Constantinople – qui est beaucoup plus qu’une copie de Rome et qui réoriente à son profit les grands axes commerciaux du monde méditerranéen et de l’Orient – d’une civilisation prospère jusqu’au VIIe siècle, profondément urbanisée, où subsistent un État remarquablement organisé et une économie monétarisée; en Occident, au contraire, l’Empire romain sombre au Ve siècle laissant ainsi très tôt la place à une civilisation nouvelle, tâtonnante, complexe, qu’on est convenu d’appeler le Moyen Âge.

1. Archéologie et urbanisme

Beaucoup d’historiens ont, par le passé, considéré que la crise du IIIe siècle après J.-C. mettait fin au système de la ville antique, souvent perçue comme un modèle abstrait. Sans doute, dans le cadre de l’Antiquité tardive (IIIe-VIIe s.), des modifications se produisent-elles dans la notion même de polis et ont-elles des répercussions dans la distribution de certains espaces ou dans l’existence de certains bâtiments. Sans doute aussi l’expansion du christianisme provoque-t-elle d’autres séries de bouleversements de l’espace urbain. Mais les données de l’archéologie permettent d’affirmer qu’une certaine civilisation de la cité a brillé parfois avec un éclat exceptionnel dans beaucoup de régions durant encore plus de trois cents ans. Certes, tous les problèmes de ce passage de la cité antique à la ville médiévale ne sont pas encore totalement résolus. On entrevoit toutefois qu’il n’y a pas de réponse unique, mais une «image éclatée» qui varie beaucoup suivant les régions et les moments. Disons pour simplifier que les villes de la Pars Orientis ont connu une stabilité et une prospérité plus durables que celles de la Pars Occidentis . Mais les découvertes archéologiques faites depuis les années 1970 permettent de nuancer cette opposition grossière et de définir des aires de prospérité urbaine (carte): outre les provinces orientales (Chypre, Syrie, Palestine, Égypte), la rive égéenne de l’Asie Mineure et la Grèce dont la vitalité économique a été considérablement accrue par la fondation de Constantinople. Celle-ci a également permis le développement des réseaux urbains le long des axes est-ouest reliant l’ancienne capitale et l’Italie du Nord à la «nouvelle Rome», créée par Constantin (axe nord par la Save, la Morava et l’Hèbre; axe sud par l’ancienne via Egnatia). Elle a enfin, par l’intensification des échanges en mer Noire, assuré la prospérité des villes du littoral et du limes danubien. L’importance des échanges maritimes à travers toute la Méditerranée contribua aussi au maintien et au développement des centres urbains sur les côtes de Libye et d’Afrique du Nord, en Provence, en Italie et sur la côte dalmate.

Il n’y a donc pas déclin de la cité pour des causes économiques dans les aires ainsi délimitées. Il n’y a pas non plus, malgré les fortes restrictions apportées aux pouvoirs des cités, de remise en cause par l’État de la notion même de la ville. Au contraire, on a l’impression que les empereurs surveillent de près la prospérité des cités, regroupant les petites, divisant les trop grandes (d’où en particulier la multiplication des évêchés). Des villes nouvelles sont créées comme Euchaïta dans le Pont, par l’empereur Anastase (491-518). D’autres sont refondées après destruction et abandon, comme Kars-el-Lebia en Cyrénaïque, où une mosaïque célèbre la nouvelle fondation de la cité (Olbia, la grecque Neapolis) sous le nom de Nea Théodorias (du nom de l’impératrice Théodora), comme Zenobia-Halabiye sur l’Euphrate. Les empereurs, particulièrement Anastase et Justinien, envoient des plans, des architectes, des artisans. Il s’ensuit, surtout en Orient, un urbanisme qui offre une certaine homogénéité, souvent renforcée par l’exportation de matériaux de la capitale et par les imitations qu’elle suscite dans certains centres régionaux: par exemple les mêmes chapiteaux se retrouvent à Constantinople, en Crimée, à Ravenne, en Afrique du Nord, à Éphèse, à Thessalonique... Production de série, pour une sorte d’architecture «préfabriquée», particulièrement celle des édifices religieux, comme l’atteste la spectaculaire trouvaille, près de Marzamemi en Sicile, d’un bateau naufragé transportant une église en pièces détachées (bases, colonnes, chapiteaux, chancel, ambon).

Quelles sont les principales caractéristiques de ces cités? À lire l’œuvre de l’historien Procope consacrée aux constructions de Justinien, on ne voit guère de différence essentielle avec les villes hellénistiques ou romaines. Lors de la reconstruction d’Antioche après 540, on trace après les remparts, les ponts et les aqueducs, les rues et places qui déterminent les îlots urbains (insulae ). Puis vient la construction des bâtiments publics «qui manifestent d’ordinaire la prospérité d’une cité». Cette description correspond trait pour trait non seulement à Constantinople, telle que l’a fondée Constantin en 330 et telle que l’ont embellie ses successeurs jusqu’à son plein épanouissement (atteint dès Théodose II, 408-450), mais aussi à des villes neuves érigées, d’après les résultats des fouilles, à des dates sensiblement équivalentes à celles de la reconstruction décrite par Procope, comme Cari face="EU Caron" カin Grad. Sur ce site, occupé pour la première fois au VIe siècle et qui a toutes chances d’être Justiniana Prima fondée par Justinien près de son village natal pour être la capitale administrative de l’Illyricum, les fouilles entreprises à la veille de la Seconde Guerre mondiale, mais qui ont été interrompues par la guerre qui ravage l’ex-Yougoslavie, ont restitué une ville typique de l’urbanisme du VIe siècle (fig. 1).

Les murailles

Rares sont les villes paléochrétiennes qui ne possèdent pas de murailles. Elles respectent le plus souvent le périmètre de l’enceinte antérieure lorsqu’elle existe, ce qui traduit une occupation urbaine à peu près constante par rapport aux époques antérieures. Par exemple, en Provence, Arles est la seule cité dont l’enceinte marque au Bas-Empire un certain rétrécissement. À Trèves, à Metz, au contraire, son périmètre est légèrement accru. À Milan, l’enceinte construite par Maximien (286-310) couvre une superficie considérable, qui sera encore augmentée par la suite. En Asie Mineure, où les murailles sont érigées en grand nombre dès le IIIe siècle, on a de nombreuses preuves archéologiques et épigraphiques de leur entretien et de leur réfection aux Ve et VIe siècles (Éphèse, Sardes, Sidé, Antalya, Iznik). L’utilisation de certains appareils comme l’opus mixtum (bancs de moellons plus ou moins équarris séparés par une ou plusieurs arases de briques) confère une relative homogénéité à de nombreuses enceintes de Balkans (Hissar, Mesemvria, Sardica, l’actuelle Sofia, en Bulgarie, Thessalonique en Grèce). Parfois ces murailles témoignent non seulement d’une science très sûre, en matière de défense, mais aussi d’un sens réel de la monumentalité et du décor. À Pergé notamment, dans le sud de l’actuelle Turquie, la porte monumentale de l’enceinte tardive reçoit au Ve siècle une avant-cour rectangulaire de 40, 50 m de profondeur, flanquée au sud de deux tours ainsi qu’une façade externe de colonnes plaquées d’architraves en remploi où prenaient place des statues également remployées. On note une disposition analogue des portes des murailles de Resafa, ville de garnison près de l’Euphrate; leur décoration est purement syrienne, mais l’ensemble, proche des fortifications de la garnison voisine de Zenobia, rebâtie sous la surveillance de deux architectes venus de Constantinople (Isidore le Jeune et Jean), témoigne sans doute de l’influence de la capitale. C’est à Constantinople en effet qu’ont été bâties les murailles les plus remarquables de tout l’Empire. Commencées en 412 par Théodose II, les murailles terrestres de cette ville, longues de 5 632 mètres, comportent, outre une levée de terre et un fossé, un avant-mur de 8 mètres de hauteur, renforcé de 82 tours, et un mur principal haut de 12 mètres, large de 4, 80 m et pouvu de 96 tours.

Les rues et les places

Le réseau des rues s’ordonne presque toujours dans les grandes villes autour de grandes artères, se recoupant à angle droit, qui déterminent des quartiers divisés par des transversales étroites, souvent en pente (voire de simples escaliers) parfois couvertes (Éphèse, Rome). Ces grandes voies sont le plus souvent bordées de portiques, suivant un usage qui est attesté pour la première fois à Antioche (Ier s. av. J.-C.), qui se répand largement en Orient (Palmyre, Apamée, Gerasa, Olbia, Pompeiopolis, Sidé, Pergé, Aphrodisias, Sardes) et qui reste plus limité en Occident (Vaison, Trèves au IVe s.) et en Afrique (Lepcis Magna, Carthage, Djemila). En Illyricum, Thessalonique, Cari face="EU Caron" カin Grad présentent des colonnades. Á Constantinople, l’avenue principale ou Mésé était bordée de portiques très connus, parfois désignés par la provenance de leurs marbres (portiques en marbre de Carie, en marbre de Troade). À Éphèse, une des voies principales, l’Arcadiané , a été refaite au début du Ve siècle. Longue de 530 mètres, parfaitement rectiligne, elle reliait le théâtre au port, sans l’interruption de places, grâce à une chaussée de 11 mètres de large bordée de portiques; terminée par deux portes monumentales bien antérieures, elle fut seulement décorée, à partir du VIe siècle, de quatre colonnes disposées en carré – qui devaient porter des statues impériales plutôt que les évangélistes – dont se rapproche beaucoup le tétrastyle de Ptolemais (Libye) et qui rappellent les tétrapyles de Palmyre, Gerasa, Césarée de Palestine, Zenobia, Sardes, Bosra, etc. Des fontaines monumentales à Éphèse, Sidé, Antioche, de nombreuses statues de hauts fonctionnaires (togati ) ou de généraux (chlamydati ), sans compter les œuvres de la statuaire antique, décoraient ces voies. Elles étaient bordées de boutiques où se concentraient l’artisanat et le commerce, souvent regroupées par corporations (quartier des orfèvres et des marchands de figues à Carthage). Les fouilles de Sardes ont permis de mettre au jour une série d’échoppes très variées (serruriers, quincailliers, teinturiers, vitriers...) adossées à un vaste gymnase et ouvrant sur la colonnade de la grande voie qui traversait la ville (chaussée, 21,50 m de largeur; trottoirs, 2 m). Ces artères offraient une activité incessante, bien illustrée par la bordure de la mosaïque dite de la Megalopsychia (fin Ves.), qui représente le peripatos (la promenade) d’Antioche, comme l’Arcadiané ou le cardo d’Apamée éclairé la nuit. Il semble que ces voies aient été parfois piétonnes sur une partie de leur cours: la chose est démontrée à Apamée, à Éphèse (rue des Courètes) et à Pergé. La prolifération des étais tend à envahir tout l’espace et les mesures prises par l’empereur Zénon (474-491), telles que la limitation de leur nombre, l’interdiction du bois dans leur construction, l’utilisation de placages de marbre, témoignent de leur extension constante. Déjà Sauvaget, qui avait étudié le phénomène à propos d’Alep et de Laodicée, voulait voir là l’origine des souks!

Les places sont nombreuses et continuent à porter les noms d’agora et de forum: la diversité de leurs formes tend à s’accroître. Elles restent évidemment des centres essentiels pour la vie sociale et l’aspect monumental qu’elles revêtent souligne leur importance dans l’urbanisme de l’époque, même si les temples, qui en constituaient autrefois les pôles, sont progressivement désaffectés ou détruits. À Constantinople, où les places s’échelonnent sur le grand axe de la Mésé, l’une des plus anciennes places de la ville, construite par Septime Sévère, le tétrastoon (le quadriportique) se présente dans la première moitié du IVe siècle comme un banal forum avec sur son pourtour les temples poliades (consacrés à Rhéa et à la Fortune de Rome), un bâtiment destiné au Sénat, les thermes de Zeuxippe, l’esplanade centrale étant occupée par des statues. Le forum de Constantin, circulaire ou ovale, comme la place principale de あari がin Grad, comprend, à côté de la colonne brûlée qui subsiste encore de nos jours et de statues païennes, un sénat et un nymphée qui sont disposés sur le pourtour, dans l’axe perpendiculaire à celui de la Mésé. Le forum de Théodose, de plan carré, est orné en son centre d’une colonne historiée (son successeur Arcadius aura aussi la sienne) dont le modèle a été la colonne Trajane à Rome; il est flanqué d’une basilique, le raccord avec la Mésé se faisant par un arc monumental récemment publié (fig. 2). Cette permanence des places se marque aussi sur certains sites antiques. Au IVe siècle, à Djemila, la place des Sévères reçoit encore un aménagement traditionnel: à côté de l’arc de Caracalla, un marché aux vêtements (basilica vestiaria ) et une fontaine, en face une basilique judiciaire. Le forum d’Hippone (Algérie) est encore un marché au VIe siècle, tout comme l’agora de Pergé. Toutefois, sur d’autres sites, particulièrement à une date plus basse, l’aspect des places se modifie très profondément. À Athènes, par exemple, l’agora grecque, qui se relève péniblement du sac des Hérules, n’est plus occupée que par un vaste gymnase où enseignent, jusqu’à la fermeture par Justinien de l’université d’Athènes en 529, les sophistes dont les somptueuses villas s’étalent sur les flancs de l’Acropole.

Les bâtiments publics

À la différence des temples, les bâtiments publics profanes (curies, salles d’assemblée) ont été dans l’ensemble maintenus malgré le déclin des curiales. À Constantinople, cas particulier il est vrai, on édifie deux sénats: mais à Baalbek aussi, un édifice construit au IVe siècle pourrait être une salle d’assemblée. Des rostres sont édifiés à Ptolemais. Par ailleurs, les thermes et les lieux de spectacle conservent tout leur rôle au sein de la cité paléochrétienne.

Les thermes sont sans cesse réparés, entretenus (Éphèse, Sardes, Antioche, Salamine de Chypre, Carthage) ou construits (Apollonia en Libye, Arles, Madaure, Épidaure, Rome, Naples, Zenobia), y compris par des évêques. En Orient, où ils étaient incorporés à des gymnases avec palestre (Éphèse, Sardes), ils tendent à se réduire à leur fonction thermale: affaiblissement de l’idéal d’éducation liée à l’épanouissement physique qui avait été celui de l’Antiquité.

Mais il y a aussi les lieux de spectacle: théâtres, où l’on voit les mimes (théâtres construits a novo à Cyrène et à Ptolemais en Libye), amphithéâtres où se déroulent les venationes (chasses et combats d’animaux: le cirque de Mérida, en Espagne, est restauré sous Constantin II) et surtout les hippodromes, curieusement associés aux palais dans les résidences impériales qui se développent au IVe siècle (Trèves, Milan, Antioche, Thessalonique, Constantinople et peut-être Nicomédie), suivant l’exemple romain (Palatin et Circus Maximus). À Constantinople, théâtre et amphithéâtre fonctionnent encore au VIIe siècle; de même à Aphrodisias. Cet engouement était orchestré par des factions qui se déchaînaient, particulièrement au VIe siècle, dans une rivalité souvent génératrice de violences; en témoignent aussi les statues décernées aux cochers, tel Porphyrius, dont les bases ont été en partie retrouvées et récemment publiées. Dans l’hippodrome de Constantinople, où l’empereur se trouvait dans un face-à-face parfois dangereux avec le peuple de la capitale, la gloire des cochers, loin de lui nuire, était «récupérée» à la fois par une symbolique assimilant leur victoire au thème de la victoire impériale et par la cérémonie des acclamations rituellement réglée grâce aux factions. De plus, ce fanatisme sportif pouvait être un dérivatif utile quand la situation politique, religieuse ou économique était critique.

Les églises

Mais de tous les bâtiments publics, les plus caractéristiques de l’époque et les mieux connus par les fouilles sont sans aucun doute les églises. Ces édifices n’occupèrent que rarement et tardivement l’emplacement des temples et il ne paraît pas y avoir eu de règle stricte pour le choix de leur implantation: espace libre acquis par la communauté, lieu d’un martyre (comme le veut par exemple la légende sur saint Démétrius à Thessalonique), ou tombe de martyr, construction faite par un simple particulier. Les principales églises tendent à s’organiser en complexes qui occupent souvent un espace considérable, tels les groupes épiscopaux de Djemila en Algérie, de Gerasa en Jordanie, de Salone en Yougoslavie et de Lyon, nouvellement fouillé. Ils se répartissent parfois très régulièrement sur un ou plusieurs îlots: ainsi à Apamée, dans un ensemble encore en dégagement, à Cari face="EU Caron" カin Grad, où les bâtiments occupent toute la ville haute, et à Philippes (fig. 3) où le quartier épiscopal a été entièrement fouillé. Situé à l’est de l’agora, partiellement reconstruite au VIe siècle, s’étendant sur une largeur de 75 mètres, il s’organise autour de l’édifice religieux, un octogone inscrit dans une enveloppe carrée de 26,65 m de côté. Ce dernier a été bâti sur un premier édifice appelé «basilique de Paul», témoignage du culte rendu à l’Apôtre, qui fit trois séjours dans la ville, et aménagé dès le milieu du IVe siècle. Les annexes liturgiques (thermes, baptistère, phiale, sacristies) et les dépendances économiques nombreuses qui occupent le rez-de-chaussée de la résidence épiscopale illustrent de façon saisissante le rôle politique et social de l’Église dans la cité. Parfois en Occident cet accroissement des bâtiments religieux se fait au détriment des voies, comme à Timgad et à Barcelone. En Orient, ces empiétements paraissent plus rares: à Stobi (fig. 5, points 19 et 20), par exemple, on n’hésite pas à amputer très largement l’atrium de la basilique épiscopale pour y faire passer une voie importante. À Sidé, toutefois, l’atrium de la «cathédrale» s’installe au travers d’une voie à colonnades dont elle marque le terme: mais la fonction sociale de cet espace quadriportique ne rend pas injustifiable cette entorse aux traditions urbanistiques. La chronique de Josué le Stylite nous apprend en effet qu’à Édesse (l’actuelle Urfa en Turquie) en 498 les artisans, à l’annonce de la suppression de l’impôt qui les accablait, se mirent à festoyer dans les atriums des églises et dans tous les portiques de la ville.

Les églises créèrent donc dans les villes anciennes de nouveaux pôles d’attraction et durent souvent réorienter la circulation urbaine, d’autant plus qu’elles s’installent parfois, comme à Vienne, à la périphérie des centres traditionnels. À Rome, même, il semble que Constantin ait dû au IVe siècle implanter l’église sur ses terres, au Latran, à l’écart du centre païen encore très hostile au christianisme. Mais au Ve siècle, lorsque la ville fut profondément chrétienne, les papes se résolurent, pour rompre l’isolement du Latran, à créer des points de rencontre intermédiaires (San Stefano Rotondo, Sainte-Marie-Majeure, Sainte-Croix) où ils célébraient la liturgie à Noël et à Pâques. Par ailleurs, à Constantinople, les processions faites par l’empereur et le patriarche définissent une sorte de réseau de relations d’un sanctuaire à l’autre et manifestent la cristallisation progressive de la vie urbaine autour des édifices religieux. Certains martyrs enfin, tel saint Démétrios à Thessalonique ou saint Platon à Ancyre, en vinrent presque à remplacer les divinités poliades de l’Antiquité, confisquant ainsi au profit de l’Église l’attachement des citoyens à leur ville.

L’habitat privé

Grâce aux découvertes archéologiques faites, depuis les années 1970, l’habitat privé est mieux connu, même si une typologie régionale paraît encore difficile à établir. La première caractéristique est le luxe et l’importance des villae ou «palais». Que ce soient des résidences impériales, dont les plans fragmentaires apparaissent à Constantinople, à Rhegion, dans la banlieue européenne d’Istanbul, à Thessalonique, ou les innombrables édifices découverts sur tout le pourtour méditerranéen, on est en présence d’une architecture de prestige qui témoigne de l’enrichissement des classes dominantes: grands propriétaires fonciers, hauts fonctionnaires, épiscopat. Ses caractéristiques essentielles sont le maintien du péristyle de tradition hellénistique autour duquel sont disposées les pièces, particulièrement les salles d’apparat et les triclinia (salles à manger). Ceux-ci tendent à se fermer par une abside (d’où parfois leur interprétation erronée comme chapelle) à l’intérieur de laquelle étaient disposées des banquettes entourant la table. L’abside tend même à se multiplier dans les édifices importants: trois dans le palais dit de l’évêque à Aphrodisias, sept à Djemila dans la maison de Bacchus, et, d’après les sources, dix-neuf dans le grand triclinos du palais impérial de Constantinople. Les fontaines, souvent monumentales au point de rappeler en miniature les nymphées publics, décorent cours et vestibules (Ostie, Stobi [fig. 4, résidence no 14], Antioche, Apamée, Cyrène) ou bien prennent place dans des absides (Athènes) et des nymphées circulaires (Argos). Des thermes privés se rencontrent souvent dans ces résidences (Athènes, Ptolemais), symboles de raffinement, plutôt que d’un déclin du rôle social des thermes publics. Mosaïques, placages et stucs peints soulignent encore le luxe de ces demeures.

Á côté de cet habitat, peu différent des grandes villae rurales qui apparaissent dans tout l’ancien Empire romain, il existe naturellement des immeubles de plusieurs étages. On en avait déjà beaucoup trouvé à Ostie; Éphèse en a fourni la contrepartie orientale: ces immeubles en terrasses, qui offrent péristyles, fontaines, salles de résidence et thermes, ont été habités du Ier siècle de notre ère jusqu’au début du VIIe, date de leur destruction. Naturellement, il existait un habitat pauvre, de bois et de boue, comme les mappalia de Carthage, mais cet habitat est mal connu en raison de la délicatesse de la fouille et du peu de cas qui en a fréquemment été fait.

Les cimetières

Le culte rendu aux morts prend, avec l’avènement du christianisme, des formes spécifiques. Certes on continue à enterrer le plus souvent, comme le veut la législation, hors des murs. Mais l’attention prêtée aux martyrs, dont les basiliques fleurissent autour des cités, est source de nouveaux itinéraires et de nouvelles formes de piété qui ont leur répercussion sur l’urbanisme, comme le montrent les cas classiques de Rome, d’Arles, mais aussi les fouilles de Lyon, Vienne, Salone, Corinthe (basilique de Saint-Codratos). Aussi l’ancien interdit, qui se maintient plus souvent qu’on ne croit (ainsi, à Constantinople, les inhumations entre la muraille de Constantin, qui marquait traditionnellement la limite de la ville, et celle de Théodose ne sont peut-être pas à considérer comme des inhumations intra-muros), finit-il pas s’affaiblir avec l’expansion du culte des martyrs et la présence de leurs reliques au centre des villes. Mais, à l’époque qui nous intéresse, l’évolution est à peine commencée (inhumations intra-muros dès la fin du IVe siècle à Sabratha, en Libye, à partir du VIIe siècle à Apamée en Syrie). Elle n’aboutira qu’au Moyen Âge.

Maintien donc d’une civilisation urbaine très forte, particulièrement en Orient, avec ses formes spécifiques de culture, celles de la civilitas célébrée à l’envi par les chroniqueurs païens et certains pères de l’Église. Toutefois le déclin marqué des curiales, leur relais, dans le gouvernement effectif de la cité, par l’évêque et les grands propriétaires (possessores ) marquent le passage de la cité antique à la ville chrétienne. La charité y succède à un évergétisme qui décline au VIe siècle. Toutefois ce sont les invasions, submergeant d’abord l’Occident (première moitié du Ve s.), puis, au VIIe siècle, l’Orient (installation des Slaves dans les Balkans, raids perses en Syrie du Nord et en Asie Mineure, expansion arabe dans toute la Méditerranée orientale et en Afrique) qui ont, sur la plupart des sites étudiés par l’archéologue, interrompu une vie urbaine où s’incarnaient les valeurs fondamentales de la vie antique. Laissons de côté les régions conquises par l’islam où la ville se maintient ou renaît avec un aspect différent; écartons également Thessalonique, Constantinople où se prolonge une certaine tradition urbaine. Partout, en Orient plus tard qu’en Occident, l’on voit les périmètres urbains se rétrécir, le kastro ou le castrum s’implanter sur une portion de la cité, les maisons, pressées autour des ruelles tortueuses, entourer l’église souvent accompagnée du cimetière. Les différences ne viendront que bien après, avec la renaissance des villes occidentales.

2. Arts somptuaires

Manifestation ostentatoire à la gloire de Dieu mais aussi du donateur ou du possesseur des objets, les arts somptuaires chrétiens ne pouvaient apparaître que dans certaines conditions politiques, sociales et économiques: il fallut attendre la «paix de l’Église», établie par Constantin au début du IVe siècle. Le développement du mécénat impérial et l’accroissement de la richesse de l’Église, qui gagne peu à peu à sa cause les hautes classes de la société, favorisent un artisanat de luxe lié étroitement à la religion nouvelle et producteur d’objets tant profanes que liturgiques. D’abord mesurée au IVe siècle, cette évolution ira en s’accentuant, sans que l’entament les tentatives de restauration païenne des empereurs Julien ou Eugène; chacune des grandes métropoles possède alors ses ateliers d’orfèvres ou d’ivoiriers, dont il est souvent difficile de définir le style propre. La rupture intervenue dans l’unité de l’Empire donnera toutefois au VIe siècle un rôle prépondérant aux artisans orientaux.

De Constantin à la fin de l’Empire d’Occident (476)

Les débuts de cet artisanat sont particulièrement malaisés à cerner. L’inventaire des dons faits par Constantin aux églises de Rome, transmis par le Liber Pontificalis , montre que vaisselle et mobilier liturgiques d’or ou d’argent ne sont pas exceptionnels, mais le matériel conservé est rare. Le petit trésor de Water Newton (Angleterre) donne un des premiers exemples, très modeste, d’argenterie à caractère chrétien: les objets, aux formes très simples, sans décor, ne sont caractérisés comme tels que par des inscriptions ou la présence d’un chrisme; les ex-voto sont étrangement semblables à ceux que l’on dédiait alors aux divinités païennes. De fait, il est encore difficile dans ce domaine de parler d’art chrétien: il n’y a rien de choquant, pour les chrétiens, à posséder eux-mêmes ou à offrir à l’Église des objets dont le décor reprend tel quel le répertoire de la mythologie, même si des plats identiques constituent pour certains membres de l’aristocratie sénatoriale romaine un moyen d’affirmer leur fidélité aux croyances de leurs ancêtres. Une simple invocation au Christ suffit à témoigner de la foi (coffret de mariage de Projecta Turcia). Les trésors ecclésiastiques eux-mêmes renferment bien des objets à caractère profane ou païen. D’ailleurs, le mobilier d’église, les luminaires entre autres, est dans la plupart des cas strictement identique au matériel profane.

À partir des années 350, davantage d’objets nous sont connus; l’élaboration de la liturgie fait sans doute sentir petit à petit le besoin d’une vaisselle appropriée, comme en témoigne le trésor retrouvé à Canoscio, en Ombrie. Il s’agit parfois de pièces simples, des cuillers par exemple, certaines peut-être destinées à distribuer l’Eucharistie, ou bien de grandes aiguières élancées, l’une des formes alors les plus prisées; le décor se limite à une croix, une inscription de caractère chrétien, ou quelques figures géométriques. Mais se multiplient aussi de véritables travaux d’orfèvrerie, dont l’ornementation devient très variée: figures isolées du Christ et des apôtres, scènes empruntées à l’Ancien ou au Nouveau Testament (Adam et Ève, Moïse et la source, les trois Hébreux dans la fournaise, Jugement de Salomon, Daniel dans la fosse aux lions, par exemple, pour le premier; Adoration des Mages, Noces de Cana ou Résurrection de Lazare pour le second), ou bien encore images à caractère symbolique, parmi lesquelles les cerfs à la fontaine ou les agneaux adorant la croix. Le répertoire des formes en revanche reste limité: à côté de quelques flacons (exemplaire du British Museum, ou du trésor de Traprain Law, en Écosse), les reliquaires tiennent une place toute particulière; le développement du culte des martyrs entraîne leur multiplication: coffrets cubiques (reliquaire de San Nazaro de Milan), boîtes oblongues aux extrémités arrondies et au couvercle bombé (capsella de Grado, de Castello di Brivio au Louvre, d’Henchir Zirara au Vatican) ou même pyxides hexagonales (reliquaire de Pola, à Vienne). Exécutés au repoussé, l’une des techniques les plus en faveur dans l’orfèvrerie de cette époque, les reliefs qui les décorent sont très inégaux; ils juxtaposent souvent les personnages sans souci de composition, reprenant des schémas utilisés dans la peinture murale ou sur les sarcophages, en un style un peu gauche. Certaines pièces cependant, le reliquaire de Milan ou celui de Thessalonique, tranchent par la qualité de leur conception et de leur exécution. S’il reste difficile de retracer l’évolution pour le IVe et le Ve siècle, il semble tout au moins que l’époque de Théodose (379-395) ait constitué un moment particulièrement fécond pour l’orfèvrerie paléochrétienne.

Prisés à l’égal de cette dernière, à laquelle ils étaient souvent étroitement associés, les ivoires sont parfois, comme elle, un instrument de propagande au service de la nouvelle foi. La maturation de l’iconographie nouvelle reste obscure car ce sont les mêmes artistes qui sculptent figures mythologiques, scènes de chasse ou images bibliques. C’est un chef-d’œuvre, présupposant une tradition déjà bien établie, qui révèle les ivoires chrétiens: la lipsanothèque (reliquaire) de Brescia; attribué à un artiste romain des années 370, ce coffret offre un décor remarquable, consacré pour l’essentiel à des scènes de l’Ancien Testament et de la Vie du Christ. Les ivoires présentent l’immense avantage de comporter une série d’œuvres profanes précisément datées: les diptyques, luxueuses tablettes à écrire offertes par les consuls à leurs amis lors de leur entrée en charge, suivant un usage normal à la fin du IVe siècle. Les points de repère ainsi fournis permettent de préciser l’évolution d’un art longtemps empreint d’une élégance et même d’une sensualité toutes païennes, comme en témoigne à la fin du IVe siècle l’image d’Adam au milieu des animaux sur un diptyque de Florence, et qui restera fidèle jusque dans les premières décennies du Ve siècle à l’illusionnisme classique (Les Saintes Femmes au tombeau , diptyques de Berlin et de Milan, ou Diptyque de la Vie du Christ , réparti entre Berlin, Nevers et Paris).

Une question ardue pour l’orfèvrerie comme pour les ivoires est celle des centres de production; si l’on peut penser que la plupart des grandes métropoles possédaient leurs ateliers, il est d’autant moins aisé de leur attribuer des œuvres précises que les artisans pouvaient se déplacer. Rome joue toujours un rôle important, même après le sac de la ville par les Goths en 410; mais l’importance des ateliers d’Italie du Nord, de Milan tout particulièrement, s’affirme à la fin du IVe siècle, et l’activité des ivoiriers de Gaule (diptyque de Rouen, figurant saint Pierre et saint Paul) n’est pas négligeable. Plus à l’est ont existé d’importants centres de toreutes (Sirmium, Naissus, Thessalonique), mais nous ne connaissons pas leur production chrétienne. La place de l’Orient enfin reste pour cette époque délicate à définir. Constantinople joue sans doute un rôle éminent, comme les ateliers syriens, ceux d’Antioche en particulier, ou égyptiens; mais leur caractère propre nous échappe presque totalement pour cette époque.

Les arts précieux paléochrétiens ne se limitaient pas à l’orfèvrerie ou aux ivoires; les manuscrits enluminés, la Bible, notamment, occupent une place insigne, mais rares sont les œuvres qui ont échappé aux ravages du temps (Bible dite de Cotton du Ve ou VIe s., brûlée en 1731). Le plus ancien, le manuscrit dit Quedlinburg Itala, attribué à un artiste travaillant au début du Ve siècle dans un scriptorium de Rome, juxtapose, sur chacun des quatre feuillets conservés, plusieurs scènes d’une facture rapide et élégante. La verrerie, bien représentée aux IVe et Ve siècles, illustre de nouveau les rapports étroits entre art profane – ou païen – et art chrétien; les verres dorés, trouvés en grand nombre à Rome dans des catacombes et en Rhénanie, enferment une mince feuille d’or entre deux couches de verre. Les scènes chrétiennes – reprenant pour certaines des images juives – y sont nombreuses et diverses, empruntées à la Bible ou reprenant des thèmes créés ailleurs, tel l’orant; une faveur particulière est accordée à saint Pierre et à saint Paul. L’usage de ces verres comme cadeaux destinés aux proches à l’occasion d’événements importants justifie l’une des formules fréquemment retenue: un ou plusieurs portraits accompagnés – lorsqu’il s’agit de chrétiens et comme sur l’argenterie – de symboles et d’inscriptions; certaines pièces toutefois peuvent être plus complexes (coupe de Cologne). Un groupe de coupes en verre gravé, qui reprend la même iconographie chrétienne à côté de scènes profanes (chasses) ou païennes, a dans l’ensemble un caractère provincial (Gaule et Rhénanie: coupe d’Homblières, au Louvre), même si quelques pièces sont d’une qualité supérieure (coupe des apôtres Pierre et Jean, de Carthage).

Ces arts précieux entraînent à leur suite tout un artisanat plus modeste mais très proche, puisqu’il cherche à fournir un équivalent meilleur marché de produits prestigieux: en os, en bronze, en terre cuite surtout est repris, souvent copié, le même répertoire chrétien; les ateliers de Tunisie produisent ainsi une céramique largement exportée dans toute la Méditerranée, des plats et des coupes aux images parfois originales, d’un style savoureux, plus populaire.

Les VIe et VIIe siècles

L’Orient prend peu à peu une place prépondérante, exerçant son influence sur les ateliers occidentaux, Ravenne notamment. Une importante innovation technique, à la fin du Ve siècle, qu’avaient précédée quelques essais sporadiques, permet de saisir le rôle essentiel de Constantinople: ce sont les poinçons d’argenterie, apposés sur certaines pièces par les services du Comte des Largesses sacrées, chargés dans la capitale impériale du contrôle sur les métaux précieux. Datés, ils permettent aussi une appréciation plus sûre de l’évolution stylistique de l’argenterie. C’est pour cette dernière une époque de maturité, celle des riches trésors d’église retrouvés aussi bien en Syrie (Hama, Riha et Stuma) qu’en Asie Mineure (Lampsaque, Kumluca) ou à Chypre: vaisselle liturgique, candélabres, encensoirs, reliquaires, etc. Même si les images païennes conservent leur charme et leur succès, elles sont vidées de toute signification religieuse et l’art chrétien a désormais un rôle moteur. Ce sont les images bibliques que le pouvoir impérial adopte maintenant pour sa propagande, comme en témoigne le somptueux trésor de Chypre: à côté d’objets religieux, une éblouissante série de neuf plats retrace l’histoire de David; exécutés à Constantinople vers 630, en des scènes au style classicisant, complexes ou isolées, pour une œuvre à la gloire de l’empereur Héraclius, vainqueur des Perses en 627 comme David l’avait été de Goliath. De la même façon les bijoux d’or, ceintures «de mariage», colliers, pendentifs, revêtent souvent une coloration clairement chrétienne par l’utilisation dans leur décor de figures du Christ ou de la Vierge prenant sous leur protection les possesseurs (ceintures du Louvre, de Dumbarton Oaks; collier d’Antinoé, à Berlin). Les orfèvres, qui délaissent volontiers le travail au repoussé pour la ciselure, adoptent aussi de nouveaux épisodes bibliques, reproduisant avec prédilection les images de Jésus et de la Vierge, en des scènes au style classicisant, complexes, ou isolées pour garnir les médaillons (vase d’Émèse au Louvre); les symboles chrétiens ou les motifs décoratifs se développent en des réseaux de formes tendant vers l’abstraction (trésor de Kumluca).

Définir précisément le style de chaque grand centre, Alexandrie, Antioche, Ravenne, Constantinople, reste toujours délicat, malgré l’aide, pour la capitale impériale, des poinçons d’argenterie et, jusqu’en 541, date de suppression du consulat, des diptyques en ivoire: ses ateliers, semble-t-il, conservent fidèlement les traditions illusionnistes de l’art classique, en y mêlant, pour les objets chrétiens, un sentiment d’immatérialité qu’illustre dans sa perfection pleine de grâce l’Archange d’un feuillet de diptyque du British Museum. La richesse des fonds d’architecture, le hiératisme des silhouettes frontales, tempéré par un modelé délicat, caractérisent aussi certaines œuvres de l’époque de Justinien, comme la Vierge à l’Enfant et le Christ d’un diptyque de Berlin, à côté de bien d’autres objets, couvertures de livres sacrés, boîtes circulaires («pyxides»), qui témoignent d’un art moins raffiné, plus expressif parfois, produit d’artisans «provinciaux». L’une des œuvres les plus riches de l’Antiquité, le trône d’ivoire de l’évêque Maximien de Ravenne, mort en 556, résume bien l’ensemble de ces problèmes dans son décor, qu’on peut attribuer à quatre maîtres différents par le style et peut-être par l’origine.

Les quelques manuscrits enluminés qui subsistent évoquent le développement considérable de la peinture sur parchemin. Très diverse, inspirée à l’occasion de la peinture murale ou de la mosaïque, leur illustration est essentiellement figurée; seules les tables de concordance entre les quatres Évangiles possèdent une décoration végétale autour d’arcades privées de leur fonction architecturale. L’origine de ces œuvres soulève à nouveau les difficultés déjà rencontrées. À côté d’Alexandrie (Genèse de Cotton) et de Constantinople, l’école syro-palestinienne (Évangile de Rabula, 586) a connu, semble-t-il, un essor particulier: certains lui attribuent un groupe de manuscrits du VIe siècle à fond pourpre (Genèse de Vienne, Évangiles de Sinope et de Rossano) donnés par d’autres à la capitale impériale; le problème se complique d’ailleurs du fait que plusieurs artistes, au style parfois très différent, ont travaillé à un même ouvrage (Genèse de Vienne). En face d’ateliers occidentaux florissants, qui élaborent un style nouveau, très expressif, mais plutôt plat et linéaire (Pentateuque d’Ashburnham, créé au VIIe s., peut-être en Afrique du Nord), l’Orient, dans le domaine des arts précieux comme dans les autres, reste attaché à la tradition hellénique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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